M O N    R É C I T

Mes origines, éparses, sont prestigieuses et triviales. Ma parentèle inclut la générosité dépouillée d’Italie, la rectitude affilée du sabre japonais, les outrecuidances admissibles des jardins français, les eaux mêlées de la Méditerranée, les saveurs sautillantes du wok asiatique, quand mon sang lui-même s’enrichit d’un breuvage bourguignon plongeant de très vieilles racines, ou de vins plus nouveaux qui figurent le regain. Vous emporterez de chez moi les notes pinotantes du pinot, les notes salines de l’anchois, les notes de pomme des vins nature, les notes charnues des cuissons rigoureuses, la note discrète de nos additions (je me paierai, pour les extras, de vos sourires). 

J’ai choisi, pour accomplir cette tâche, quatre personnes au grand cœur qui partagent cette obsession. Il s’agit pour moi de vous nourrir, donc ; est-il banal de le dire ! mais, plus encore, j’espère donner au tableau de vos sens ses couleurs d’origine ; vous restituer, à chacune de vos venues, cette essence du printemps : la joie. Le ventre vide en arrivant, vous sortirez d’ici, c’est du moins mon souhait, l’appétit aiguisé : appétit de rêver à vos plats, de rêver à vos verres, de rêver à vos mots ébouriffés sous mes voûtes complices ; restauration du désir, appétit de revenir. 

 Je suis, moi-même, né au printemps - ce qui n’eût pu, du reste, être autrement. Car le regain se déclare en cette saison ; sous les trois suivantes, il se sublime ; s’orange ; puis de teintes blanches et bleu glacial se pare, non en sommeil, mais palpitant toujours, énergique sous la neige, plein de la terre et dans la terre se lovant, dans sa chaleur continuée, souterraine et secrète, se perpétuant. Et ce cycle de revenir, année après année, sans jamais se renier. 

Mes bourgeons seront bientôt éclos : bientôt, on me permettra de vous accueillir en mon sein, pour déguster celles de mes fleurs qui vous tenteront, pour mieux connaître mes acolytes, pour partager avec eux un moment de repos et, avec vos amis, le repas du moment.

 Alors vous le verrez : je suis fait d’épure et de matières brutes : mon sol absorbe, l’été, les torpeurs excessives qui manquent à l’hiver, et que je lui restitue avec douceur ; mes horizons portent les marques du crépuscule ; mes éclairages jouent, goutte à goutte, du xylophone des feuillages. Je ne suis pas plus épargné qu’un autre ; banale est mon histoire - s’il est vrai qu’il est banal de voir s’ankyloser, parfois mourir, des circonstances, des personnes, des lieux, des joies, des craintes ; mais je les garde en moi et, respectueux du nom qui me fut donné, je fais du souvenir un lendemain tout prêt à croître. Je suis fait, comme la cuisine de Benjamin, comme toute cuisine sans doute, de tradition et d’avenir. 

Thomas arpentera de son pas vif et léger ma dalle grise ; Lolita fera de vos verres des prismes de cépages et de couleur ; Pierre-Armand lestera mes cales de futailles enivrantes. Mais c’est sans doute, au sujet de mes fondateurs et amis, bien trop peu dire : je vous les présenterai tout à l’heure.

Je me languis de vous voir.

R E G A I N

Photographie © Jules Azelie 

Textes © Virgile Deslandre